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Les élections présidentielles françaises sont à peine terminées et voilà que deux nouvelles échéances pointent le bout de leurs urnes. La première concerne les législatives, annoncées désormais par certains candidats malheureux comme un troisième tour, évidemment décisif, en vue du renouvellement des représentants des citoyens. Et l’évènement d’être d’ores et déjà autant relayé que les campagnes d’avril…
La seconde échéance est internationale : l’Eurovision Song Contest, anciennement Concours Eurovision de la Chanson, dont la 66ᵉ édition aura lieu cette année à Turin. La finale rassemblera médiatiquement environ 200 millions d’êtres humains. Elle reste pourtant reléguée aux faits divers de la dernière page culturelle de la partie congrue de la presse grand public.
Votes en stock
Certes, il pourrait sembler indécent surtout en ce moment de crises en escadrille de mettre en regard d’une part de vraies élections politiques (aux programmatiques enjeux sociétaux, économiques, écologiques où même les droits et les devoirs de chacun se voient mis en concurrence), et d’autre part le plus vieux télé-crochet de l’ère radio-télévisuelle (pour lequel on vote au mieux par fanatisme, mélomanie, ou pur plaisir de la moquerie). Néanmoins, on est en droit aussi de se demander pourquoi une retrouvaille d’une telle ampleur reste boudée par les grands titres et son public de lecteurs et auditeurs. L’ESC est en effet une caisse de résonance des enjeux internationaux majeurs : conflits latents ou en cours, modernité culturelle et puissance économique des sociétés, image des communautés issues des différentes diasporas au sein des pays du bloc européen occidental, représentativité des communautés LGBTQIA+ dans des pays plutôt hésitants sur la question, pour ne citer que quelques-uns des thèmes qui ont accaparé ces dernières années la littérature d’Eurovision.
Mais alors, pourquoi ne s’y intéresse-t-on pas ? Certains diront que l’ESC n’est qu’un pur divertissement et que la politique n’a rien à voir là-dedans, sanctionnant ainsi son inadéquation journalistique. Ne s’émeut-on pas pourtant lorsque l’équipe de football des États-Unis affronte celle de l’Iran aux Championnats du monde de Football, ou quand la Grèce dame le pion aux Allemands à l’Euro, ou encore lorsque les drapeaux ukrainiens flottent au-dessus des podiums des Jeux Olympiques d’hiver chinois, organisés sur neige artificielle en pleine période de désastre écologique ? De fait, l’Union européenne de radiotélévision – conceptrice et organisatrice de l’ESC – a été la première grande institution internationale à se positionner sur la brûlante question du conflit russo-ukrainien et sur le traitement à réserver aux délégations russes. Si la primeur ne fait pas le monopole, on peut tout de même remarquer, du moins en France, une différence de considération flagrante : d’un côté une institution populaire diffusée en mondovision, constamment ignorée, de l’autre n’importe quelle compétition de sport – tenez, les fléchettes par exemple ! – qui, malgré tout le respect qui lui reviendrait, est diffusée et commentée sur des chaînes dédiées.
Un laboratoire sociopolitique insoupçonné
L’ESC pourrait constituer un lieu d’expérimentation idéal pour repenser le vivre ensemble dans un monde globalisé. À l’heure où revient sur le devant de la scène la question de la gouvernance exécutive de l’Europe communautaire (déjà unifiée par la monnaie, son parlement et ses divers conseils, et dont on dit qu’elle ferait bien d’être militarisée), on peut déceler dans l’ESC des manières innovantes d’appréhender les modalités d’expression et de sélection de représentants à l’échelle continentale.
Prenons par exemple le vote du concours au sens large : il nous invite à relire nos affinités électives. Nous pourrions comparer la finale de l’ESC à une élection à proprement parler, élection qui rassemble une bonne quarantaine de nations. Sans revenir sur l’histoire haletante des modalités de vote du concours, qui ont beaucoup changé au cours des décennies, précisons seulement qu’aujourd’hui que le scrutin est équilibré en tant qu’il est pondéré par deux types d’électeurs : le gagnant est en effet désigné à 50 % par la somme des notations conjointes de jurys nationaux et à 50 % par un savant calcul issu exclusivement des préférences du public international du programme.
Et si cette modalité était appliquée à une élection politique, par exemple européenne ? On pourrait ainsi élire de la sorte une Présidente de l’Union ? Ou à l’inverse, le Président français, en offrant 50 % de la puissance du vote aux pays voisins et frontaliers directs ? Ou simplement appliquer cet équilibre moitié-moitié à notre contrée, en constituant un jury présélectionné. Cette option serait probablement interprétée comme un retour en arrière, car on voit bien que les discussions actuelles autour de la proportionnalité – notamment lors des législatives – penchent plutôt en faveur d’une correspondance stricte entre les préférences exprimées et les représentants sélectionnés.
Vent nouveau
Finalement, c’est en amont du concours que l’on peut flairer un souffle réformateur. Peut-on imaginer que le vote qui aura lieu samedi 14 mai 2022 a en réalité été précédé d’une multitude de tours de chauffe à l’échelle nationale ?
En effet, les clubs OGAE (Organisation générale des amateurs de l’Eurovision) de chacun des pays membres de l’UER qui participent au concours réalisent chaque année au printemps leurs previews. Il s’agit d’une sorte de répétition générale du décompte fatidique de la finale, où chaque Eurofan, tel un juré haut placé, jauge ses préférences à l’aune des réalités artistiques et de la dynamique de groupe. C’est un peu comme si, avant le premier tour de la présidentielle, et dans chaque région française, on demandait à des personnes engagées politiquement, dans un parti ou juste localement, de se prêter à un jeu d’autorévélation.
Ainsi, imaginez qu’on propose, au hasard, à un fervent révolutionnaire de se mettre dans la peau d’un conservateur invétéré, ou à un écologiste chevronné dans celle d’un progressiste saint-simonien, le temps d’une journée. Leur mission déguisée ? Écouter l’ensemble des programmes des candidats à l’élection et, en fonction de leur nouvelle et provisoire identité politique, leur donner une note, une voix, avant de dépouiller l’ensemble des avis et d’en discuter autour d’un verre de l’amitié. Voilà donc ce que font les Eurofans aguerris dans chaque pays eurovisionnesque ce qui, en plus de donner du grain à moudre aux bookmakers qui font leur blé sur l’issue de l’ESC, les entraîne à penser comme l’autre, à aimer comme son voisin et, finalement, à l’écouter.
Du pouvoir des réseaux sociaux
L’Eurovision manque peut-être de considération, mais les fans du concours sont eux remarquables dans leur propension à consolider leur identité de groupe. Comme un cas d’école, ils promeuvent et symbolisent à la fois le crédo qui les porte : « Celebrate Diversity »… ou « Building Bridges » c’est selon, comme le montre l’évolution des slogans des commerciaux d e la marque Eurovision qui a pris un tournant évident il y a une dizaine d’années. Les réseaux sociaux reflètent à leur tour cette politisation de l’ouverture à l’autre, comme en témoigne le hashtag #EurofansAreBeautiful qui s’est imposé cette année comme un espace de revendication clair de la validité autoproclamée de l’appréciation du concours, devenue à son tour un moyen d’affirmation de soi. C’est d’ailleurs un créneau similaire qu’ont pris certains médias autonomes – webradios, podcasts, revues en ligne. Aux côtés de sites spécialisés comme eurovision-quotidien.com figurent désormais des formats audio réguliers comme 12points, l’un des premiers podcasts francophones qui mêle tonalité caustique, précisions historiques et approche scientifique, en accord avec ce qu’est devenu fièrement le Concours Eurovision : une fête cosmique où le monde devient village, un exutoire bon enfant où railler son voisin n’est en réalité qu’un moyen de mieux apprécier ses différences, le tout en chantant.
Stéphane Resche does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.
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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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